Commémoration

Commémoration de l’appel du 18 juin 1940 : le discours du maire Jean-Luc Laurent

Le 18 juin dernier, la ville du Kremlin-Bicêtre commémorait la date anniversaire de l'appel du 18 juin 1940, prononcé par le général de Gaulle sur les ondes de la BBC, à Londres, exhortant la France libre à poursuivre le combat contre l'envahisseur allemand.

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Dimanche 18 juin 2023

Quatre-vingt-trois années ont passé depuis que le général de Gaulle a prononcé cet appel que nous venons d’écouter, des mots qui sont ceux d’un mythe fondateur de la France du siècle dernier. Des mots qui, à l’époque, se sont perdus dans l’écho froid des grandes ondes. Un appel bien peu entendu alors, une flamme vacillante allumée de l’autre côté de la Manche alors que l’obscurité s’abattait sur notre pays après le désastre de la bataille de France.

Prenons le temps de réaliser le courage qu’il fallut à cet homme, illustre inconnu, enfant terrible d’une armée française alors enkystée dans ses certitudes, ancien protégé de l’homme de Montoire, pour quitter le sol de la patrie au lendemain du vote des pleins pouvoirs à son mentor, encore tout auréolé du statut de héros de la Grande Guerre, et tuer définitivement le père en prononçant cet appel parce qu’il plaçait « une certaine idée de la France » au-dessus de tout.

Souffrant la calomnie, condamné à mort par ses compatriotes, esseulé en territoire britannique et subissant la méfiance de Churchill et de Roosevelt qui tous deux lui préféraient l’amiral Giraud, quels nerfs d’acier, quelle vision stratégique lui fallut-il pour apercevoir l’engagement futur de l’Amérique et de l’URSS dans cette guerre au destin mondial, pour ramener la France du bon côté de l’histoire, du côté que l’idéal républicain n’aurait jamais dû lui faire quitter.

Dès cet instant, le jeune Charles de Gaulle cessa définitivement de s’appartenir, l’homme céda le pas devant le Général de Gaulle, l’homme de la Libération, l’architecte de la Résistance, l’homme du Gouvernement provisoire de la République française, l’homme qui devait racheter l’honneur perdu de la IIIe République après qu’elle ait choisi, en désespoir de cause, de s’en remettre à un hypothétique sauveur qui, d’un bouclier, devait finalement rester dans l’histoire comme le premier des collabos.

Cet appel fut avant tout une bouteille à la mer lancée à l’intention tous ceux qui refusaient la défaite, à tous ceux qui ne pouvaient, en leur âme et conscience, accepter la capitulation face à la nuit nazie, sachant sur quels terribles chemins elle nous conduirait.

L’appel du 18 juin est l’expression d’un refus, un refus du réel tel qu’il semblait alors inéluctable, une protestation contre la fatalité, contre l’idée même que l’histoire serait semblable  à une rivière suivant son cours.

Toute entreprise mémorielle demande un effort d’imagination pour qu’une commémoration soit un moment de souvenir collectif qui porte dans le temps présent.

Alors faisons cet effort, rappelons-nous qu’en 1940 les responsables politiques voyaient la IIIe République agoniser sous le poids des crises, si divisés que nombreux furent ceux qui, à voix basse, osèrent dire « plutôt Hitler que Staline » pour justifier leur propre capitulation.

Rappelons-nous l’étrange sentiment qui saisit notre peuple d’une défaite inéluctable face à la nation allemande triomphante, dont l’efficace propagande donnait le sentiment d’être invincible et unie dans son dessein de conquérir le monde et de porter partout la croix gammée.

Rappelons-nous les mots limpides, le constat clinique d’une déroute non seulement militaire mais d’abord et avant tout morale que fit Marc Bloch dans l’étrange défaite :

«  J’entendis le général Blanchard dire, avec plus de sang-froid que je ne l’eusse cru possible : « Je vois très bien une double capitulation.» Et nous n’étions que le 26 mai ! Et nous avions encore les moyens, sinon de nous sauver, du moins de nous battre longuement, héroïquement, désespérément, comme, en juillet 1918, les îlots de combat encerclés, sur la ligne avancée du front de Champagne. « Capitulation » : le mot est de ceux qu’un vrai chef ne prononce jamais, fût-ce en confidence ; qu’il ne pense même jamais. Pas plus qu’il n’annonce à ses troupes, comme devait le faire, le 17 juin, un maréchal jusque-là chargé de tant de gloire, son dessein de solliciter « la cessation des hostilités », avant, bien avant, d’être, à quelques conditions que ce fût, assuré de l’obtenir. »

Le petit ouvrage de March Bloch aurait tout aussi bien pu s’appeler la capitulation des élites, le sens et la portée en auraient été la même. Car ce furent bien les élites de notre pays, incapables de saisir les évolutions du monde, d’accepter qu’une ère nouvelle s’était ouverte, qui conduisirent notre pays à la défaite.

Il fallait qu’un homme sorte de l’ombre et proteste contre le défaitisme qui avait imprégné les cœurs depuis des mois pour que celui-ci relève la tête, montre à la face du monde qu’il restait en France des hommes d’honneur, prêts à tout pour défendre la patrie qu’ils aimaient et les idées qu’ils portaient.

Et bientôt, après l’appel du 18 juin, celui-ci trouva un écho au fin fond de la Lybie, une poignée d’hommes, les hommes du général Leclerc, qui prononçaient le serment de Koufra que je vous prononce : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. » Après la défaite, s’amorçait alors la longue route de la reconquête d’une liberté perdue.

Depuis Londres et jusqu’au désert d’Afrique, des hommes se sont ainsi regroupés, ont affronté avec courage l’ennemi allemand sur les champs de bataille, mais aussi l’ennemi de l’intérieur qui les menaçait, déjoué les manœuvres et manipulations politiques, négocié avec les alliés pour que la France ne fut pas considérée comme un pays ennemi mais comme un pays occupé dont les vrais représentants en exil, menaient sans relâche une guérilla héroïque contre l’occupant.

Si l’appel du 18 juin est aujourd’hui l’un des mythes les plus vivaces qui peuplent l’imaginaire français, c’est bien parce qu’il marque l’aube d’une renaissance.

En même temps que l’ancienne France mourrait, emportant avec elle tous ceux qui, le cœur sec, vivaient dans l’aigreur et la nostalgie crasse d’une monarchie qui jamais ne reviendrait, ressassant leur rêve rance d’une révolution nationale, une France Nouvelle naissait dans laquelle la République devait solidement prendre racine et avec elle les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qui l’animent.

Quatre-vingt-trois années ont passé et nous sommes toujours les héritiers de cet appel fondateur. A ce titre nous avons le devoir de nous souvenir que la perspective d’une défaite n’est jamais inéluctable tant qu’il reste des hommes libres, aux convictions suffisamment solides pour refuser la fatalité. Nous avons le devoir de refuser l’idée qu’existerait un hypothétique et inflexible « sens de l’histoire », devant lequel nous ne pourrions que nous incliner. Le « sens de l’histoire » n’est jamais que le paravent derrière lequel se réfugient confortablement ceux qui n’ont plus le courage de lutter pour un autre avenir.

Le XXIe siècle nous offrira mille occasions nouvelles de renoncer, de nous couler justement dans le « sens de l’histoire » : péril environnemental, péril démocratique, mondialisation et interdépendances économiques, nouvelle guerre froide… Les augures nous promettent un monde ne nous laissant d’autre choix que de négocier pour survivre, de nous adapter et, finalement, de renoncer à ce que nous sommes. Nous sentons confusément le souffle d’un pessimisme ambiant, d’un défaitisme qui ne dit pas son nom, comme si certains déjà renonçaient à répondre aux défis de notre temps.

Nous devons renouer avec la force morale de ceux qui, il y a quatre-vingt-trois ans, ont refusé la défaite de l’esprit pour défendre avec lucidité une autre voie, salutaire et digne.

Ce choix du courage et de la force morale, c’est aussi celui qu’a fait un peuple, à quelques milliers de kilomètres de nous, il y a un maintenant plus d’un an, peuple auquel était promis la foudre d’un puissant voisin venu pour l’anéantir, peuple à qui l’on prédisait la reddition ou la mort et qui a pourtant trouvé la force de se battre avec un courage qui doit nous servir d’exemple. Un peuple qui fait mieux que résister à un envahisseur plus nombreux et plus équipé, mais qui le repousse chaque jour davantage et manifeste ainsi son refus de disparaître.

Bien-sûr ce peuple n’est pas seul dans sa lutte mais ce sont bien ses soldats qui, sur le terrain, se battent et sacrifient leur vie pour l’avenir de leur nation et non ceux qui leur donnent les armes pour le faire. Un peuple qui surmonte ses divisions pour réaliser l’union sacrée face à l’ennemi, comme le firent les résistants de tous horizons qui rejoignirent De Gaulle à Londres dès 1940, puis en 1941, pour grossir les rangs de la Résistance. Je veux aujourd’hui saluer la décision du Président de la République, de faire entrer au Panthéon Missak Manouchian, résistant FTP du groupe de la main d’œuvre immigrée MOI, héro de l’affiche rouge, arrêté avec 22 camarades et assassinés par les nazis le 21 février 1944. Ils reposent au cimetière parisien d’Ivry et notre ville participe chaque année à l’hommage qui leur est rendu.

Ayant signé l’appel pour l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, je suis d’autant plus heureux de cette décision du Président de la République qui associe Missak et Melinée, son épouse.

C’est une juste reconnaissance pour les résistants et la France combattante dont reste ami Arsène Tchakarian, le dernier résistant du groupe Manouchian, décédé le 4 aout 2018.

Gageons qu’au jour prochain où notre nation à nouveau devra sonder sa propre conscience pour choisir son destin, que nous regarderons dans notre passé les choix courageux de nos prédécesseurs pour nous en inspirer. L’histoire de notre nation désormais se confond avec celle de la République, et nous n’avons pas d’autres choix que d’en assumer l’héritage, ses idéaux et ses valeurs, c’est là notre seule identité collective.

Que vive l’esprit de la Résistance !

Vive la République ! Vive la France !

Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre

La cérémonie en images

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