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Rue des femmes #2 Germaine Tillion (1907-2008)

En 2022, Le Mag’ inaugure une nouvelle série historique, celle des femmes dans l’espace public de la commune. Si leurs noms nous sont familiers, leurs vies, en revanche demeurent obscures pour beaucoup.

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Germaine Tillion naît en 1907 à Allègre, en Auvergne, au sein d’une famille de fonctionnaires fermement républicains. Montée à Paris en 1925, elle entreprend des études d’histoire et d’égyptologie qui l’amènent à l’anthropologie, lui faisant rencontrer le maître de la discipline, Marcel Mauss, puis le grand orientaliste Louis Massignon. Ses premières missions en « immersion » dans le sud de l’Aurès algérien en 1935, puis en 1939, lui font appréhender, au gré de l’expérience au sein des Douars où elle séjourne, le fossé profond entre les sociétés rurales traditionnelles et la population des colons européens.

L’expérience concentrationnaire

Elle revient en métropole en pleine débâcle du printemps 1940. « Quand j’ai entendu le discours de Petain [le 17 juin], j’ai vomi, littéralement ! » témoignera-t-elle plus tard. Dès l’automne 40, elle entre en contact avec l’une des premières initiatives résistantes, le réseau du Musée de l’Homme au côté d’autres intellectuels (Paul Rivet, Boris Vildé…), éditant l’un des premiers journaux clandestins : Résistance. Victime d’une trahison, le réseau tombe pour une grande partie dès le printemps 41. Germaine Tillion est quant à elle arrêtée et emprisonnée en 1942, puis déportée avec sa mère de 67 ans en octobre 1943, au camp de concentration de Ravensbrück, réservé aux femmes.

Affectée au Verfügbar ( les « disponibles », non affectées à des travaux forcés épuisants), puis à l’infirmerie, c’est en ethnologue qu’elle s’efforce, avec ses moyens précaires, d’observer le fonctionnement du camp, notant des précieux renseignements codés à travers de fausses et anodines recettes de cuisine et écrivant même une pièce de théâtre satirique : Le Verfügbar aux enfers. Échappant de peu à l’extermination, contrairement à sa mère exécutée en mars 1945, elle est exfiltrée avec d’autres codétenues vers la Suède. Ayant pu emporter ses notes et photos prises clandestinement sur les conditions de vie et de mort au sein du camp, elle sera l’une des témoins majeurs lors des procès des bourreaux de Ravensbrück entre 1945 et 1948.

Retour à l’Algérie

Les années 50 la ramènent à la question algérienne. Après la « Toussaint rouge » de 1954, le Gouvernement Mendès-France la missionne sur le terrain pour enquêter sur le nouveau contexte des hostilités. Vingt ans après sa première expérience, elle y constate une véritable « clochardisation de l’Algérie »… Rattachée au Gouvernement général, elle va impulser l’expérience novatrice des centres sociaux, impliquant les acteurs locaux, en vue de promouvoir des plans d’éducation et de formation, notamment pour les filles, alors même que la transition d’une société agraire vers les zones urbaines révèle
des fractures béantes. En 1957, alors que se déclenche « la bataille d’Alger » et que la France est mise en accusation sur la pratique de la torture, Guy Mollet, Président du Conseil, la missionne de nouveau tant pour enquêter que pour entrer en médiation informelle avec les indépendantistes du FLN. Sans épouser leur stratégie, elle réussit à nouer des relations de confiance avec certains de leurs dirigeants, aboutissant un temps à des trêves des attentats en
contrepartie de suspensions d’exécution ou de grâces de condamnés à mort, notamment celle de Yassef Saadi (ils resteront en contact jusqu’à son décès). D’abord guidée par le sens de la dignité humaine par-delà l’impératif politique, son action lui vaudra autant le respect de beaucoup que la défiance des jusqu’au-boutistes des deux bords.

Rattachée en 1959 au cabinet du Ministre de l’Éducation, elle pose les fondements de l’enseignement en milieu carcéral, puis, jusqu’à sa retraite en 1977, elle reprend ses travaux de recherche. Ses cours et conférences sur l’ethnologie des sociétés du Maghreb font encore référence, notamment quant à l’émancipation de la condition des femmes.

Elle décède en 2008, dans sa 101ème année, à St-Mandé, non loin d’ici. Quand en 2015, sur décision du président Hollande, elle entre au Panthéon, c’est à une grande femme, actrice de notre XXème siècle, que la patrie est reconnaissante. Trois ans auparavant, c’est Le Kremlin- Bicêtre qui lui rendait hommage en donnant son nom au Centre social de l’avenue Charles-Gide.

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