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Rue des femmes #1 Séverine l’insurgée (1855-1929)

En 2022, Le Mag’ inaugure une nouvelle série historique, celle des femmes dans l’espace public de la commune. Si leurs noms nous sont familiers, leurs vies, en revanche demeurent obscures pour beaucoup.

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Première à ouvrir ce « bal de la reconnaissance », Séverine est écrivaine, journaliste, libertaire et féministe.

Rien ne prédestinait celle qui naquit Caroline Rémy en 1855, au sein d’une famille de la petite bourgeoisie parisienne, à devenir Séverine, une journaliste et écrivaine engagée dans la défense du monde ouvrier et de la condition féminine et l’une des figures marquantes du féminisme politique de la belle époque. En 1871, après que ses parents ont fui les émeutes de la Commune, elle se marie une première fois, à 16 ans, avant qu’elle ne fasse la connaissance d’un fils de bonne famille qui lui permettra de voyager, notamment à Bruxelles, en 1879, où sa rencontre avec l’écrivain Jules Vallès, proscrit de la Commune, changera sa vie et lui révélera sa vocation.

L’école buissonnière de la Révolution

Devenant sa collaboratrice, l’assistant dans son œuvre ultime, L’Insurgé, elle relance avec lui en 1883 Le Cri du Peuple, journal mythique de l’Insurrection de 1871. Elle y signe ses premiers articles remarqués sous le nom de « Séverin » mais y ajoute bientôt le « e » qui fera sa célébrité, y affirmant le caractère féminin de sa plume. Après la mort de Vallès en 1885, elle dirige seule le journal, ouvert à tous les courants du socialisme naissant. Mais son caractère libertaire se heurte très vite à Jules Guesdes et à ses disciples, partisans d’une ligne orthodoxe marxiste. En 1888, elle quitte le journal, déclarant désormais son « école buissonnière de la Révolution ».

Son talent, que l’on s’arrache pour des piges recherchées, lui permet d’écrire dans la plupart des journaux, y compris ceux dont elle ne partage en rien la tendance éditoriale conservatrice, comme Le Gaulois ou Gil Blas. Si son antiparlementarisme l’amène un temps à être séduite par l’entreprise politique séditieuse du Général Boulanger (1887-89), elle reste d’abord la première journaliste professionnelle à « aller sur le terrain », au plus près des dures réalités sociales. Elle se retrouve ainsi au cœur du conflit des ouvrières sucrières en grève ou auprès des mineurs après la catastrophe meurtrière de Saint-Étienne, en 1890. À l’occasion de l’affaire Dreyfus, dont elle suivra tous les procès, convaincue de son innocence, elle se lie avec Jean Jaurès et Emile Zola dans le combat commun pour innocenter Dreyfus.

La cause des femmes à la une

Parallèlement, au côté de Marguerite Durand, une autre pionnière, elle affirme le féminisme politique avec la création en 1897 du journal La Fronde, premier quotidien conçu intégralement par des femmes. Très en avance sur son époque et bravant les interdits, elle y revendique le droit à l’avortement.

« Ne doivent accepter la maternité que celles qui y sont prêtes […], sinon on fait des martyrs. Et ce sont ces martyrs-là qui vous condamnent, ô juges, si bienveillants aux petits fœtus et si indifférents aux petits enfants… »

En 1905, c’est elle qui prononce l’éloge funèbre de Louise Michel, l’héroïque vétérane des Communards.  D’abord attachée aux droits sociaux des femmes, elle tempère son antiparlementarisme et mène, à Paris, le 3 juillet 1914, l’une des premières mémorables manifestations exigeant un suffrage vraiment universel, donc… féminin. La Grande Guerre, qui éclate un mois plus tard, remisera encore longtemps cette revendication. Ardemment pacifiste et séduite par la Révolution russe d’Octobre 1917, Séverine adhère au nouveau Parti Communiste issu du Congrès de Tours de 1920. Elle le quitte rapidement cependant, tenant d’abord à son appartenance à la Ligue des Droits de l’Homme, adhésion jugée alors incompatible avec l’orthodoxie léniniste. Admiratif de la militante « jaurésienne » et lui-même pacifiste, Henri Barbusse dira plus tard qu’il s’en était inspiré en écrivant l’ouvrage qui le rendra célèbre, Le Feu.

Derniers combats

« Tu finiras à l’échafaud ! », lui avait un jour lancé un gardien du jardin des Tuileries où, encore enfant, la future Séverine faisait les 400 coups. Démentant la funeste prédiction, elle meurt paisiblement, âgée de 74 ans, à Pierrefonds, dans l’Oise, où elle s’était retirée, non sans avoir en 1927, une ultime fois, pris fait et cause – en vain! – pour la grâce des deux anarchistes américains, Sacco et Vanzetti, condamnés à la chaise électrique pour un hold-up meurtrier dont ils étaient peut-être innocents… Ayant inspiré Colette, Andrée Viollis et bien d’autres de ses cadettes jusqu’à aujourd’hui, libertaire et précurseur, Séverine apparaît désormais comme la sainte patronne laïque du journalisme professionnel au féminin.

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